L’envol d’Indigo

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L'envol d'Indigo

 

Voilà trois jours qu’Indi­go n’avait pas aperçu d’hu­mains du haut de sa petite cage dorée. La dernière fois qu’il l’avait nour­ri, le pro­prié­taire de l’an­i­ma­lerie sem­blait plus fatigué que d’habi­tude. Il avait fer­mé sa bou­tique à la hâte, aban­don­nant ses marchan­dis­es à leur sort.

 

La faim le tenail­lait et sa gamelle d’eau était vide depuis longtemps. Le petit Pin­son Japon­ais de la cage voi­sine avait même suc­com­bé à ce manque de nourriture.
Un fris­son de tristesse par­cou­ru les plumes d’Indi­go en songeant à son ami si joyeux et si vif qui lui avait tenu com­pag­nie depuis déjà tant d’années…
Indi­go était une vieille Per­ruche Ondulée. Sa robe défraîchie reflé­tait cepen­dant des couleurs extra­or­di­naires: son bec à la cire bleue et sa queue indi­go lui avaient valu son prénom. Cela fai­sait six ans qu’il était exposé dans cette ani­ma­lerie dont il con­nais­sait les moin­dres recoins.
Il faut dire que son car­ac­tère effacé, atyp­ique pour une per­ruche ondulée, con­dui­sait les rares intéressés à porter leur choix ailleurs.

 

 
Soudain, un cli­quetis dans la porte d’en­trée déclen­cha une hys­térie immé­di­ate dans la volière et redonna espoir aux locataires du lieu.
Une ombre péné­tra dans la pièce, les chiots se mirent à aboy­er comme jamais, les chats à miauler en cœur, et les oiseaux à vol­er dans tous les sens. Ce n’é­tait pas Jacques, le pro­prié­taire, ni Ben­ji l’in­téri­maire, mais son odeur n’é­tait pas incon­nue d’Indigo.
Lorsque l’hu­main ouvrit les stores, le soleil éclaira son vis­age jeune et doux, ce qui ravi­va la mémoire de la per­ruche. C’é­tait Anouck, la fille de Jacques.
La jeune femme avait main­tenant la ving­taine. Indi­go se rap­pela que lorsqu’elle était ado­les­cente, elle don­nait volon­tiers un coup de main à son père après les cours, et s’oc­cu­pait des ani­maux avec passion.
Anouck était cepen­dant par­tie vivre dans la cap­i­tale pour ses études, et ne pas­sait plus que quelques fois par an à l’an­i­ma­lerie. La femme de Jacques y avait aus­si tra­vail­lé jusqu’à leur divorce, il y a de cela deux ans.
Depuis, la petite entre­prise péri­cli­tait, Jacques était plus que débor­dé et les ani­maux en souffraient.
Anouck se pinça le nez en par­courant la boutique :
” Ouh­la ça fou­ette… Je suis vrai­ment désolée mes amis qu’on vous ait lais­sé dans cet état. Sacré con­fine­ment… Ben­ji doit garder ses enfants, sa femme est aide-soignante. Papa est malade. Il n’y a que moi qui peut m’oc­cu­per de vous pour l’instant.”
Indi­go com­prit alors que quelque chose d’in­hab­ituel se produisait.
 
 
 
L’é­tu­di­ante entre­prit de nour­rir les ani­maux, de net­toy­er métic­uleuse­ment les lieux, et res­ta un moment avec chaque occu­pant pour leur don­ner un peu d’amour. Anouck était pour la per­ruche la preuve que les humains n’é­taient pas tous cru­els, car il sen­tait sa com­pas­sion. Elle pleu­ra lorsqu’elle vit son voisin, le petit Pin­son, immo­bile. Elle l’en­velop­pa avec soin et l’en­ter­ra solen­nelle­ment dans l’arrière-cour.
Elle revint quo­ti­di­en­nement à la bou­tique, mais son vis­age s’as­som­bris­sait au fur et à mesure qu’elle épluchait la compt­abil­ité de son père et qu’elle rac­crochait au téléphone.
Puis, un beau jour, Indi­go décela une vive étin­celle dans son regard. Il sen­tit en elle une énergie nouvelle.
Prise de frénésie, la jeune femme se plaça au cen­tre de la pièce et s’adres­sa aux animaux:
” Mes amis, papa est très fatigué. Heureuse­ment, les médecins dis­ent qu’il va s’en sor­tir. Mais il ne pour­ra pas revenir ici avant des mois. Il a pris une déci­sion, que je lui avais déjà sug­gérée, mais vous le con­nais­sez, papa est têtu.”
Elle mar­qua une pause, écras­ant une larme au passage.
Elle se remémo­ra la fin du lycée, époque charnière où son père lui avait demandé de repren­dre le flam­beau. Anouck ado­rait les ani­maux mais ne sup­por­t­ait plus de les voir enfer­més. Elle refusa donc la propo­si­tion de Jacques. Cela avait engen­dré beau­coup de querelles au sein de la famille.
Cepen­dant, la sit­u­a­tion incon­grue du moment pous­sa son père dans ses retranchements.
Affaib­li et incer­tain sur l’avenir, Jacques se résigna à arrêter la vente d’an­i­maux et à se con­cen­tr­er unique­ment sur le com­merce d’al­i­ments et d’ac­ces­soires pour ces derniers. Il con­fia la lourde tâche de tran­si­tion à sa fille.
Cette dernière se dirigea vers les canidés et les chatons.
” J’ai com­mencé à vous chercher des familles d’adop­tion, vous êtes de beaux chiots et chats de race, on y arrivera…”
Puis elle se retour­na vers la volière. Son regard s’ar­rê­ta sur la perruche.
” Indi­go mon ami, tu es resté trop longtemps dans cette cage.”
Elle se tut un moment, les yeux rivés à la fenêtre.
 “La direc­tive de papa est simple:
 
 
 
                                                            “Libère les oiseaux”
 
 
 
La jeune femme reprit rapi­de­ment ses esprits et déplaça en quelques min­utes les cages dans l’ar­rière cour. Elle promit aux oiseaux d’y laiss­er des graines et de l’eau à pro­fu­sion, au cas où ils reviendraient la voir.
Puis, d’un geste vif, elle soule­va la cage d’Indi­go, défit le loquet et ouvrit la por­tière dans un grincement.
Pen­dant quelques sec­on­des, la per­ruche ne com­prit pas le geste de l’hu­main. Depuis tou­jours, on le forçait à rester dans cette mau­dite prison.
Lorsqu’il réal­isa qu’il était libre, Indi­go piail­la et prit son élan.
Il déploya ses ailes, et dans un bruisse­ment de plumes, s’éloigna de plus en plus haut. Il se retour­na pour remerci­er Anouck, sans s’at­tarder car il craig­nait que cela ne soit trop beau pour être vrai.
Il vit la sil­hou­ette de la jeune femme agiter ses bras fréné­tique­ment, jusqu’à ne devenir plus que deux branch­es sec­ouées par le vent.
 
 
 
Il sen­tit l’air le pénétr­er, la chaleur du soleil cha­touiller ses plumes, et le vent caress­er ses ailes. Cette sen­sa­tion était grisante. Il était né pour vivre ce moment. La per­ruche s’aven­tu­ra à faire des pirou­ettes, avant de se pos­er sur une branche, puis s’en­v­ol­er de nou­veau. Il chan­tait, jouait avec d’autres oiseaux, décou­vrit les joies de chas­s­er les insectes. Il vola aus­si au-dessus de la ville, aperce­vant quelques humains qui lui sem­blaient désor­mais si insignifiants.
Soudain, la pluie le prit de court.
Indi­go ne con­nais­sait pas assez son envi­ron­nement pour anticiper ce change­ment météorologique. Il cher­cha rapi­de­ment à se réfugi­er et aperçu un ren­fon­ce­ment en briques.
Il s’y posa, sec­oua ses plumes et se rav­it de con­stater qu’il était à l’abri. Mais sa tran­quil­lité fut brève, car il sen­tit tout à coup une présence. Un petit garçon aux yeux ronds l’ob­ser­vait en effet de la fenêtre de sa cham­bre. L’en­fant fut fasciné par la beauté de l’oiseau et de son plumage.
Indi­go n’avait jamais vu d’hu­main aus­si petit. Intrigué, il se rap­procha tout en restant sur ses gardes. L’en­fant écla­ta de rire, ce qui sur­prit la per­ruche qui s’en­vola aussitôt.
Lorsqu’Indi­go pu trou­ver un abri sûr et repren­dre ses esprits, il s’in­ter­ro­gea sur l’ex­pres­sion sin­gulière de ce petit humain, si doux et si joyeux en même temps.
 
 
 
Le lende­main et les jours suiv­ants, un soleil mag­nifique bril­lait et l’oiseau fut bien con­tent de repren­dre son envol. Pour­tant, à plusieurs repris­es il aperçu le petit garçon à sa fenêtre, l’air maussade.
Pourquoi ne sor­tait-il pas? Il lui rap­pelait son com­pagnon le petit Pin­son, si vif et si joyeux, mais enfer­mé dans une cage.
L’oiseau se ren­dit ain­si compte que beau­coup d’hu­mains étaient enfer­més dans leurs cages.
Un événe­ment excep­tion­nel les avait-il con­traints à se cacher ? Quel genre de pré­da­teur pou­vait bien faire peur à tous ces puis­sants humains ?
Lui qui con­nais­sait si bien cette sen­sa­tion ne la souhaitait à per­son­ne. Alors, il déci­da de ren­dre vis­ite à l’en­fant. Celui-ci fut fou de joie quand il le revit.
 
 
 
Bien­tôt, les deux com­pères dev­in­rent amis.
Indi­go apprit que l’en­fant se nom­mait Louis et s’a­mu­sait à répéter son prénom.
” Louis! Louis!”
Le petit garçon débor­dait de joie chaque fois qu’Indi­go arrivait à l’épeler.
Ils partagèrent des bis­cuits ensem­ble, et l’oiseau se plai­sait à racon­ter ses escapades et ses décou­vertes à l’en­fant. Ce dernier ne com­pre­nait pas grand chose à ses piaille­ments, mais ressen­tait toutes les émo­tions de son ami, et cela lui suff­i­sait ample­ment pour tout saisir.
 
 
Puis, un beau jour, les humains regag­nèrent l’ex­térieur. Les rues dev­in­rent bruyantes, l’air plus étouf­fant. Louis était de moins en moins à sa fenêtre pour jouer avec Indigo.
Mais ce dernier était heureux que son ami soit enfin libre, tout comme lui.
 
 
 
Un après-midi d’au­tomne, Indi­go déci­da qu’il était temps de vol­er vers d’autres contrées.
La lib­erté est le pro­pre même de l’oiseau, et le petit garçon le com­prit d’emblée. Ils firent leurs adieux ten­drement, et cha­cun reprit le chemin de sa pré­cieuse vie.
 
FIN
 
 

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