La Réglementation Cosmétique est souvent méconnue des consommateurs. En effet, même si ces derniers sont de plus en plus vigilants et privilégient le naturel, certains points restent flous. Par exemple la « Label Jungle » (création constante de nouveaux labels « éthiques »), la réalité sur les tests sur animaux, la véracité des applications de notation etc…

Et voilà, un consommateur de plus qui s’est perdu…

Ayant l’opportunité de pouvoir échanger avec Jean-Marc Giroux, président de COSMED (Association des PME de la Cosmétique), j’ai décidé de lui poser les questions que les consommateurs se posent au quotidien sur la Réglementation de nos cosmétiques.

Après enquête auprès de mes lecteurs et abonnés, j’ai ainsi réuni 11 Questions axées sur les cosmétiques naturels (ceux-ci étant le sujet principal du blog).

Quel est donc l’avis d’un expert Réglementaire en Cosmétique sur ce sujet ?
Découvrez-ci dessous notre échange !

Qui est Jean-Marc Giroux ?

Président de COSMED depuis 2011, Jean-Marc Giroux est Docteur en Pharmacie et Expert toxicologue pharmacologue.
Jean Marc Giroux est aussi un expert réglementaire reconnu et représente notamment le secteur des PME en cosmétiques à la Commission Européenne.

Jean-Marc Giroux
Jean-Marc Giroux Président de COSMED

Il est ainsi tenu au courant de toutes les évolutions réglementaires et des tendances du secteur cosmétique !

Questions

1. Définition d’un cosmétique naturel

Belle Demain: Bonjour Jean-Marc et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Pour commencer, comment définiriez-vous un cosmétique naturel ?

Jean-Marc Giroux: Le consommateur a une vision globale et floue de ce qu’est un cosmétique naturel. Or depuis peu celui-ci est défini par la norme internationale ISO 16128.

Concrètement, un cosmétique naturel est un cosmétique contenant des ingrédients naturels ou d’origine naturelle.

cosmétique naturel
Qu’est-ce qu’un cosmétique naturel selon la réglementation cosmétique ?

Un « ingrédient naturel » est un ingrédient cosmétique obtenu exclusivement à partir de végétaux, d’animaux, de micro-organismes ou de minéraux, y compris ceux résultants :
– de procédés physiques ;
– de réactions de fermentation existant dans la nature et permettant d’obtenir des molécules existant à l’état naturel ;
– d’autres modes opératoires de préparation, y compris des méthodes traditionnelles sans intention de modifier chimiquement l’ingrédient.

Un « ingrédient d’origine naturelle » est un ingrédient cosmétique, pour une proportion de plus de 50 % d’origine naturelle, qui est obtenu par des procédés chimiques et/ou biologiques définis visant à les modifier chimiquement.

Cette norme permet aux fabricants d’alléguer un pourcentage d’ingrédients « naturels » ou « d’origine naturelle ». Elle est peu connue des consommateurs qui souvent confondent les notions de « naturel » et de « bio ».
En effet, un cosmétique bio est forcément naturel, mais un cosmétique naturel n’est pas toujours bio.

Un cosmétique naturel doit contenir un minimum de 95 % d’ingrédients naturels, tandis qu’un cosmétique bio doit avoir en plus un minimum de 95 % d’agro-ingrédients physiquement transformés issus de l’agriculture biologique.

Cette norme devrait imposer progressivement une clarification de la revendication « naturel ».

 2. Les Applications de Notation et de Scan des cosmétiques

Belle Demain: Aujourd’hui, les applications de notation des cosmétiques sont la grande tendance.

Je conçois qu’elles ne sont pas toujours fiables car certains ingrédients sont décriés sans fondements. A l’exemple des allergènes, naturellement présents à l’état de traces dans de nombreux extraits naturels. De plus, les notations ne sont pas en fonction du pourcentage des ingrédients dans la formule.

Cependant, elles sont le résultat d’une méfiance des consommateurs vis à vis des marques, et leurs permettent de connaître « à peu près » ce que contiennent leurs cosmétiques.
Quel est votre avis concernant ce sujet et comment les autorités voient-elles ces applications qui ne cessent de prendre de l’ampleur ?

applications de notation cosmétique
Que valent vraiment les applications de notation des cosmétiques ?

Jean-Marc Giroux: Les applications jouent aujourd’hui un rôle social important dans l’acte d’achat de produits alimentaires et cosmétiques, dans la mesure où les réglementations successives ont rendu l’information d’étiquetage complexe voire incompréhensible pour le consommateur.

Ce travail de simplification est salué par les consommateurs ; on ne peut toutefois pas s’en satisfaire en l’état, dans la mesure où on relève jusqu’à 27% d’erreurs dans les avis rendus par les applications voire des contresens complets (ex : un produit non recommandé pour les femmes enceintes par le fabricant, se retrouve préconisé pour les femmes enceintes dans une application).

Pour continuer à jouer un rôle d’informations, les applications devront se doter tôt ou tard de bonnes pratiques pour qu’à minima l’information soit juste.
Les autorités sont conscientes de ces erreurs de notation notamment la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) qui s’est saisie du sujet dernièrement.
Le défi pour les entreprises est de reprendre la parole sur les produits et sur les substances en clarifiant l’information tout en répondant aux contraintes très fortes de réglementations.

 3. Le Phenoxyethanol

Belle Demain: En parlant d’applications, le phenoxyéthanol est l’une des substances qui fait polémique actuellement. Pourtant il est encore présent dans de nombreux produits. Cette substance subira-t-elle le même sort que les parabens ? Quel est la position des autorités par rapport à son utilisation actuelle et à venir ?

Jean-Marc GirouxLe débat sur le phenoxyéthanol vient d’une différence d’opinion entre les autorités sanitaires européennes et les autorités sanitaires françaises et ce depuis 2012. Le débat n’est pas tranché à ce jour : l’Europe le considère comme sûr dans toutes les applications cosmétiques y compris pour les enfants jusqu’à la dose de 1% ; L’ANSM considère que cette dose doit être réduite à 0,3%.
Ce classement avait été établi sur des tests très parcellaires :
– Des essais sur le rat, à des concentrations improbables dans la réalité, avaient montré une toxicité sur le foie ;
– Des analyses sur l’exposition de travailleurs dans une usine de fabrication de cette matière première.

L’Europe considère à juste titre que pour déclarer la toxicité du phenoxyéthanol dans son usage cosmétique il faudrait des données plus complètes.

P.S: Après cet interview, un Conseil d’Etat datant du 4 décembre 2019 demande à l’ANSM de ne plus mettre en vigueur leur recommandation. L’Europe semble donc avoir gagné cette bataille. Cependant, le phenoxyethanol reste mal vu des consommateurs.

 4. Les Ingrédients Polémiques

Belle Demain: Savez-vous quels sont les autres ingrédients polémiques actuellement ? Les industries se préparent-elles à leur suppression ?

Jean-Marc Giroux:

Les nanomatériaux

Ils ne sont pas interdits, cependant l’industrie cosmétique les utilise de moins en moins. Seuls quelques nanomatériaux sont autorisés et parfaitement identifiables par les consommateurs car ils sont mentionnés par des crochets [ ] dans la liste des ingrédients. Le vrai problème se pose plutôt dans l’industrie alimentaire.

Les perturbateurs endocriniens (PE)

Il s’agit d’un vaste sujet dont la société s’est légitimement saisie. Avant que les clarifications aient lieu sur la base d’une meilleure connaissance scientifique, il faut rappeler aux consommateurs un élément essentiel : la très grande majorité des substances qui nous entourent (environnementales, alimentaires…) ont un impact naturel sur nos systèmes endocriniens.

On les appelle les SASE (Substance Active sur le Système Endocrinien). Par exemple, le café (agit sur le système ostrogénique) comme le soja, le thé, les céréales…Il en est de même pour les produits chimiques dont certains ont potentiellement une action sur un des systèmes endocriniens. Ce qui fait passer une substance du statut de SASE, inoffensive, au statut de PE est qu’elle présente une action nocive pour l’organisme ou l’environnement.

Tout l’enjeu des prochaines années sera de définir l’absence ou le niveau de nocivité réelle. Face à cette absence de connaissance on utilise aujourd’hui le principe de précaution à la place d’une objectivation de la nocivité.

Et c’est pour ça que la confusion est totale dans l’esprit du consommateur qui voit accuser des centaines de substances qui, certes sont actives sur le système endocrinien, mais ne présentent pas pour autant d’effets nocifs. Une fois cette position clarifiée, on saura mieux prioriser les actions de protection et s’engager vers une résolution de cette question.

Les microplastiques

La suppression des microplastiques est une démarche engagée de plein gré par l’industrie.
Aujourd’hui il existe de nombreuses solutions alternatives pour les remplacer, ce sujet est donc en cours de résolution (sauf pour le maquillage).
Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’un problème sanitaire mais environnemental.

 5. Les Tests sur Animaux et la Réglementation Cosmétique

Belle Demain: Un point reste également assez flou. Il s’agit des tests sur animaux. Normalement ceux-ci sont interdits en Europe depuis plusieurs années. Cependant, qu’en est-il des produits « Cruelty Free » en Europe mais vendus en Chine, sachant que la Chine exige des tests sur animaux (pour l’instant) ?
D’autre part, la réglementation REACH exigerait exceptionnellement des tests sur animaux pour certaines substances, est-ce réellement le cas ?

label Cruelty Free
Le label Cruelty Free

Jean-Marc GirouxLa Réglementation Cosmétique Européenne est très claire et sans ambiguïté, les matières premières utilisées dans les produits cosmétiques ainsi que dans la formulation des produits, ne peuvent avoir fait l’objet de tests sur animaux.

Les tests sur animaux restent autorisés en revanche pour d’autres réglementations que cosmétique : médicaments et REACH.

Le plus gros demandeur de tests sur animaux reste la Chine. Depuis des années l’Europe demande à la Chine de revoir ces dispositions, des évolutions semblent commencer à se dessiner.

6. Les cosmétiques BIO

Belle Demain: En parlant de bio, pensez-vous que les cosmétiques bio sont « meilleurs » ?

Jean-Marc GirouxLa cosmétique bio résulte d’une démarche globale de formulation, de choix d’ingrédients, d’impact environnemental et sanitaire et de son côté le plus souvent naturel.

Il n’est pas possible d’opposer la cosmétique naturelle et bio à la cosmétique conventionnelle sous les termes « quel est le meilleur ? ». Parle-t-on d’efficacité, de sécurité, de sensorialité ? C’est à chaque consommateur de répondre à cette question en fonction de son besoin. Mais cosmétique conventionnelle ou cosmétique bio, la réglementation et les règles d’évaluation de la sécurité sont les mêmes.
Les labels bio sont un élément de reconnaissance des produits pour les consommateurs.

7. La « Label Jungle » 

Belle Demain: Outre les labels bio qui sont déjà nombreux en Europe, on remarque la création constante de nouveaux labels « éthiques ». Par exemple les labels VeganOcean RespectRSPOCruelty Free etc. Que pensez-vous de cette « Label Jungle » ? Comment cet essor de labels est-il perçu par les autorités ?

Jean-Marc GirouxCette segmentation de produits cosmétiques selon les labels existe depuis très longtemps. Il y a 30 ans, un produit cosmétique au Brésil portait facilement 4 ou 5 labels. Chaque label vise à faire reconnaître le produit cosmétique par une communauté. Cette tendance va augmenter puisque face à l’uniformisation imposée par la mondialisation, chacun a besoin de retrouver des garanties sur ses convictions.
Les labels offrent cette visibilité à une variété de plus en plus grande de communautés.

8. L’exploitation de la flore

Belle Demain: L’avènement des cosmétiques naturels entraînera forcément une hausse de l’exploitation de la flore dans le monde. Je pense notamment aux extraits de plantes rares. Comment éviter de nouveau une surexploitation de la nature même si cela part d’une « bonne intention » ? Quelles sont les dispositions mises en place ou en cours de réflexion par les autorités ?

Jean-Marc GirouxLes produits cosmétiques sont soumis à la convention CITES, destinée à protéger le commerce des espèces de faunes et de flores sauvages, ainsi qu’au protocole de Nagoya destiné à contrôler l’accès aux ressources génétiques.
La première protection est que le prélèvement sur des ressources naturelles sauvages peu renouvelables ne garantit pas l’approvisionnement. Cette flore sauvage est donc souvent transposée en cultures.

9. Le Do It Yourself (DIY)

Belle Demain: Le DIY qui consiste à fabriquer ses cosmétiques soi-même est également une tendance en forte hausse chez les consommateurs. Il découle certainement d’une perte de confiance aux industries.
Quel est votre avis sur ce phénomène ? Les autorités ont-elles émis leur position à ce sujet ?

cDIY cosmétiques
Faire ses cosmétiques soi-même, la solution ?

Jean-Marc GirouxUne forme de perte de confiance dans les produits cosmétiques conventionnels peut s’entendre surtout suite aux messages simplificateurs voire erronés communiqués par certaines applications.
Il y a toujours eu des gens qui ont fabriqué leur propre cosmétique. Un ouvrage des années 60 qui s’appelait « Savoir revivre » de Jacques Massacrier proposait déjà des recettes de dentifrice, de crème journalière, … L’essor vient de l’industrialisation de ces offres.

La position des autorités françaises est qu’une recette accompagnée d’ingrédients devrait satisfaire les conditions du règlement cosmétique. Cette position est en cours de discussion à l’Europe. Le fabricant du produit étant le consommateur lui-même, les entreprises doivent veiller à ce que le consommateur comprenne la recette, le rôle des ingrédients, les quantités utilisées, le mode de fabrication, les conditions d’hygiène…et ce afin d’assurer la sécurité du consommateur.

10. La Réglementation Cosmétique

Belle Demain: Par ailleurs, pouvez-vous nous donner des pistes sur l’évolution de la réglementation cosmétique en Europe dans les prochaines années ? Va-t-elle être de plus en plus restrictive ?

Jean-Marc GirouxRien dans les 10 dernières années ne montre un assouplissement de la réglementation cosmétique. Elle est faite pour protéger le consommateur et évolue dans le sens d’un renforcement de la sécurité. Il est regrettable que tout soit fait dans les médias pour discréditer cette recherche de sécurité permanente du consommateur. De plus, dans le monde entier, cette réglementation européenne tend à être le modèle à suivre.

11. L’évolution du secteur

Belle DemainEnfin, quel est votre sentiment sur les cosmétiques de demain ? Quelles sont les tendances de 2020 ?

Jean-Marc GirouxLes cosmétiques de demain auront des formules plus simples et plus compréhensibles par le consommateur. Elles n’en seront pas moins hautement technologiques et innovantes. Cette simplification permettra de redonner au consommateur le sentiment d’une plus grande authenticité et de mieux mesurer la neutralité de l’impact des produits cosmétiques vis-à-vis de l’environnement.

Encore un grand merci à Jean-Marc Giroux d’avoir accepté de nous éclairer sur la réglementation cosmétique et de nous avoir livré son avis sur tous nos questionnements !

J’espère que cet échange aura apporté des réponses à certaines de vos interrogations!
Vous pouvez retrouver toutes les informations concernant COSMED, leurs événements et conférences sur leur site Internet Cosmed.fr !